Réflexions sur la Sorcière européenne
Qui est la Sorcière ?
C'est une vieille bossue, borgne et édentée qui élève des chats sauvages au fond des bois et que l'on va voir pour connaître sa destinée...
C'est une belle femme aux formes généreuses, dont le dernier ongle est long et pointu, qui connaît les plantes et aide les femmes à accoucher : elle est sage, femme et sage-femme. Il arrive parfois qu'elle soit mariée, mais on la voit peu souvent sur les bancs de l'église.
C'est une belle jeune fille mystérieuse qui est séduisante en diable (sic), attire les Poltergeister, cueille des bouquets de primevères et danse nue sur les collines à la Pleine Lune...
Les Sorcières de tout type attendent les nuits les plus magiques, noires et sans Lune ou au contraire illuminées de la Lune pleine, pour se glisser dehors, parfois sur un balai ou un bouc volant, souvent avec un chat ou autre esprit familier. Elles se réunissent en des endroits secrets, craints des profanes, pour appeler le Diable, un ancien dieu tourné en démon qui porte des cornes, sent le soufre, danse jusqu'à l'extase et fait l'amour avec ses disciples. Les danses de ces Sabbats sont effrénées, débauchées, les banquets succulents, l'alcool coule à flot et aucune pudeur n'existe.
Après cette extase et cette débauche, les Sorcières, revigorées, retournent à leurs mornes existences (1)...
Qui sont les Sorcières ?
Sont-elles les prêtresses celtiques ou romaines antiques, stigmatisées comme démones car elles refusent d'adopter la religion catholique ? Leur Diable cornu ressemble tant à un autre dieu de la Nature, du vin, de l'extase, de la Vie... Dionysos, Cernunnos, Bacchus, Pan, Freyr...
Sont-elles vraiment des êtres à craindre, à éviter, à dénoncer pour les mener au bûcher ou, dans notre monde moderne, dont il faut se moquer ?
Ont-elles réellement volé sur leurs balais ou ne s'envolaient-elles qu'en rêve, aidées par des onguents aussi hallucinatoires que dangereux ?
Ne sont-elles pas tout simplement le rêve de toute femme d'être libre ?
Les Sorcières existent-elles toujours ?
Les Wiccans existent et se réclament sorciers. Mais leurs outils, leurs cercles, leurs robes et leurs rituels n'ont pas grand'chose à voir avec les Sabbats originels et la nudité qui rend chacun égal devant les dieux. Ils ressemblent plus à une récupération moderne et presque monothéiste (un comble) de nombreuses traditions anciennes des quatre coins de l'Europe...
Dans des villages, au fin fond des Alpes italiennes ou peut-être au Pays Basque, qui sait ? peut-être même dans la Bretagne chaste mais si riche en légendes... survivent quelques personnages bizarres, souvent des femmes mais pas forcément, qui connaissent les plantes et parlent les langages des vents...
Le monde des Sorcières existe-t-il toujours ?
Il n'y a plus de vie dans les campagnes, les femmes accouchent à l'hôpital, on va chez le médecin quand on est malade, plus personne ne soulève son chapeau devant les aubépines, plus personne n'accroche de rubans à ces mêmes plantes pour obtenir un vœu des Fées, on a asséché les marais où dansaient les feux follets, on exploite les forêts denses et secrètes, la récolte dépend encore de la météo mais on enferme de plus en plus les plantes sous serres et filets, on ne côtoie plus les chèvres et leur mauvais caractère "démoniaque", les femmes n'ont plus de longs cheveux libres qui dansent dans le vent, les gens ne dansent d'ailleurs plus dans les prés pour la moisson ou la montée à l'alpage...
Pan est mort, le grand dieu aux andouillers a cessé de caracoler par monts et par vallées... (2)
Ont-elles encore leur place, ces femmes (et hommes) aux pouvoirs étranges, dans notre monde où prévaut l'égoïsme, où la science a soi-disant réponse à tout, où on nie la pauvreté, où la population agricole a dramatiquement chuté, où l'on bouscule les personnes âgées en ronchonnant au lieu de les respecter ?
Où l'on ne craint et respecte plus la Nature, ses colères et ses bienfaits ?
Où un chant nous lasse, où l'amour est moqué, où nous n'avons plus peur des ombres ?
Pourtant, elles vivent toujours.
Au fond des esprits, dans le folklore, dans les contes, et dans le cœur de quelques êtres qui n'osent s'en réclamer mais sont bel et bien des âmes sorcières.
Je veux croire que certaines encore gardent les clefs des autres mondes, des plantes, des tempêtes, de la pluie, du printemps et de la mort. Nous avons besoin de Sorcières pour garder nos rêves, pour enfanter nos filles et nos fils, pour nous soigner, pour nous border, pour nous rassurer, pour nous faire peur, pour tisser des charmes et des sortilèges, pour danser autour du feu, pour nous accompagner au bord de la tombe.
Les Sorcières ne mourront jamais.
La mauvaise graine repousse toujours. (3)
Notes :
(1) Erica Jong, in Sorcières
(2) La Faunesse Mécanique, in Prologue
(3) Devise de l'agronomie biodynamique kokopellienne
Images : 1, 2, 3 et 5 par Niiv Photography ; 4 par Sarachmet
La Sauvage